La photographie, ou l'art de sauver les apparences ! [Alexander]

Si vous voulez mon avis, l’art pour l’art est une jolie et bien agréable façon de penser. En tout cas c’était le titre de nos derniers travaux à rendre, et le principe de prendre en photo pour le simple plaisir de le faire, et bien, ça me rend toute joyeuse un truc de dingue ! De toute façon, n’est-ce pas là ce que je fais de manière tout à fait naturelle le reste du temps ? Photographier sans limite, immortaliser des moments uniques qui ne se reproduiront jamais de la même façon dans le monde, tout en étant similaires à pleins d’autres ?
Enfin, en tout cas j’ai réussis de jolies photos là ! L’une, la plus réussie d’un couple ; joueur de foot et beauté fatale du lycée, en train de s’embrasser à l’issue de l’entraînement… je ne sais pas pourquoi, mais j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose d’à la fois beau et sauvage dans ce baiser, lui étant passablement en sueur, et elle, fraîche comme la rosée, resplendissant d’un amour éternel ! Beurk… Je tombe dans un romantisme pathétique… Mais le cliché est réussi et respire la vie et l’instantané d’un moment qui n’appartenait qu’à eux mais que je n’ai pas pu m’empêcher d’immortaliser pour le bien-être de la communauté, mais également par sens du devoir. Ou parce que je voulais une bonne note. Prenez l’explication qui satisfait le plus votre sens moral, je m’en tartine la rate dans le beurre de l’indifférence.

J’en saisis une que je dirige vers la fenêtre, essayant d’apercevoir au mieux les personnages figés dessus. Mmmh… celle-là est moins bien réussie, mais elle fera l’affaire… Le professeur a dit quatre ou cinq de toute façon, et je ne compte pas non plus m’éterniser en lui présentant toute ma collection de photos volées à mon entourage, proche ou non. Surtout que certaines, perdues au milieu des couchers de soleil, ou des maisons vides de mon quartier, sont particulièrement compromettantes pour certaines personnes, et que je n’irai en aucun cas les mettre partout puisque ça pourrait me retomber dessus. Et puis… Savoir qui trompe qui avec qui, et le dévoiler, très peu pour moi, je tiens à mon visage, tout de même ! Alors elles sont planquées sur mon ordinateur, chez moi, dans un fichier obscur de mon disque dur, et il y a pas de danger qu’elles en ressortent un jour, sauf si quelqu’un connaît le chemin exact pour les retrouver. Ce qui n’existe en aucun cas, de ça j’en suis sûre !

Bon, je réajuste les photos que je coince dans une pochette à rabats… Je devais les rendre il y a une heure déjà, mais le prof a explicitement annoncé qu’il laissait la classe ouverte pour les retardataires ! C’est ça qu’est bien en Art, on ne peut voler les photos des autres puisqu’en cas de litige il y aura toujours un double à un endroit ou à un autre ! Et puis, personnellement je l’aime bien, alors hors de question de bousiller les meubles, de toute façon vous voulez que je fasse ça avec quoi ? Ma force de mouche ? Un couteau de cuisine ? La batte de base-ball posée dans ma chambre mais qui est plus là pour faire joli qu’autre chose ? Hein ? Vous voyez… je suis inoffensive et je l’assume totalement ! Donc, je coince le tout sous mon bras, sur mon tee-shirt marron très évasé sur les épaules. J’ai mis un pantacourt avec ça, le résultat est pas trop mal réussi, et pour une fois mes ballerines ont servi à quelque chose. J’en profite pour jeter le crayon qui tenait mes cheveux dans mon sac que je suspends de l’autre côté, à l’autre épaule, sachant que mon appareil se trouve dedans et que j’ai tout intérêt à le garder intact. Si je ne veux pas m’arracher les cheveux chez le réparateur, du moins.

Bon, maintenant que je suis harnachée comme pas possible, direction la salle de classe. En espérant ne pas tomber sur celui qui a massacré trois filles l’année dernière. Quoi que, j’espère au moins que si il doit me tomber dessus, il m’accordera une photo ou deux –qu’il sera libre d’effacer, évidemment, je suppose que des abru… hommes pareils ne laissent pas de preuves- histoire que je puisse terminer ma carrière en beauté ! En fait non, j’aimerais vraiment pas tomber dessus… Ca doit faire mal… Mais pour le moment j’ai eu de la chance, et peut-être qu’il avait un problème avec ces trois nanas là… Je suis moins jolie, moins populaire, et moins sympas qu’elles…. Sans doute plus intelligente mais ça faut pas le dire, parce que je n’irai jamais foutre les pieds dans un laboratoire ! Même sous menaces de mort, la fin de la chimie a été pour moi une pure libération et il est hors de question que j’y retourne, ne serait-ce que pour me faire trucider !

Enfin… je pousse la porte de la salle, ouverture des lumières, personne ! Ouff, je peux respirer plus librement parce que j’avoue qu’à penser à ça je me suis légèrement fait flipper pendant quelques minutes… Dernier coup d’œil aux photos, je les feuillette d’une main rapide, avant de les poser sur le bureau du professeur, bien en vue. Mon nom écrit en belles lettres d’imprimeries sur le dossier ne laisse aucun doute quant à l’identité de celle qui a osé ramener ses photos en retard. Mais en général j’ai de bonnes notes, ne serait-ce que parce que je sais repérer le beau dans toute chose, aussi bien que le laid… Même si je me tais régulièrement quant à cette dernière partie pour ne pas froisser mes modèles…

Je m’apprête à retourner en arrière lorsque j’entends des bruits de pas derrière moi, hum… le tueur ? En tout cas ça s’approche de la porte… Angoissée, l’adrénaline me poussant à des choses stupides, je regarde autour de moi pour chercher une quelconque arme pour me défendre en cas de problème ! Avisant la règle qui nous sert lorsque l’on s’essaye au dessin, je la saisie d’une main tremblante, laissant ce bon mètre de bois devant moi pour frapper le premier qui rentrera dans la pièce… Et qui me prendra sûrement pour une cinglée. Mais de ça, j’en ai l’habitude, ne vous en faites pas ! La poignée tourne, je me précipite derrière une table, prête à me défendre en cas de problème. Ma voix paraît presque hachée, et je me sens l’obligation de me racler la gorge histoire d’être au moins entendue dans mes dernières paroles, autant ne pas mourir de manière tout à fait pathétique, non ?

« Qui… Hem… Qui est là ?! »

S’il me sort « c’est la ptite charlotte », une chanson typique de mon enfance en France, je jure que gentil ou pas, je le frappe. Parce que là, mon cœur il frise le record de vitesse, et je suis sûre d’une chose, j’arriverais jamais à lever le bras pour frapper en cas de problème.

Niah ! Il voulait ma peau lui ou quoi ?! Ou mourir, assommé sous les coups redoublés d’une petite brune énervée et temporairement peu à même de réfléchir ? La vache ! Mon cœur battant à mille à l’heure je laisse tomber la règle sur la table pour me calmer et respirer calmement. Ou respirer tout court, parce que je crois que mes poumons se sont bloqués au moment où j’ai vu cette foutue poignée s’enclencher pour faire entrer un gars sans doute venu rapporter son travail en retard. Inspire. Expire. Vas-y ma vieille, tu peux y arriver. Bon, il ne semble pas trop dangereux. Et s’il me lance une table à la figure, je pense que je ne pourrai pas m’en sortir, alors autant ne pas attiser sa haine, surtout qu’il a l’air suffisamment cool pour ne pas être le mystérieux meurtrier auquel je pensais il y a quelques minutes. Donc, tu te calmes, tu quittes cet air de biche apeurée et légèrement parano, et tu lui sers ton plus grand sourire ! Bien ! Tu vois que tu peux y arriver quand tu veux !

Repoussant délicatement, et du bout des doigts la règle un peu plus loin genre « elle était déjà là et j’ai juste voulu la ranger », je m’avance vers lui, bien décidée à ne pas sembler si facilement impressionnable. Je pose mon sac sur une chaise, à proximité de l’ordinateur qu’il a allumé et qu’il semble vouloir utiliser pour transmettre son travail, sans doute une pure merveille si comme moi, il fait partie de ce cours si agréable. Bon, j’avoue, il s’est joyeusement payé à ma tête à mon arrivée, et il a ouvertement signifié que j’avais l’air ridicule, mais je pense qu’on ne peut réparer les malentendus qu’avec un grand sourire et quelques paroles de bienvenue. Alors autant me lancer maintenant, puisqu’il ne semble pas trop disposé à vouloir me tailler en tranche pour me donner à manger à un chien.

« Hem… je suis vraiment désolée j’ai cru que… Enfin bref, on s’en fout de ce que j’ai cru… Je déposais mon projet lorsque je t’ai entendu arriver, et avec toutes ces rumeurs, enfin, bref... Je peux voir ce que tu as fait ? »

Oui, je suis gênée. Pour sûr que je suis. Et ça se voit sûrement comme le nez au milieu du visage alors que je replace l’une de mes mèches derrière mon oreille avec un sourire embarrassé. J’avais vraiment envie de voir son travail, c’est un fait, mais à la base j’avais surtout fait ça pour détourner la conversation de ce qui m’embêtait le plus. Un technique simple et efficace, même si maintenant ma curiosité a été définitivement piquée, si bien que je me sens l’envie irrépressible d’en savoir plus sur sa photo, maintenant qu’il en a parlé. Ou que j ‘en ai parlé. Enfin bref, on s’est exprimé et j’ai envie de voir son taff, quoi.

« Curiosité professionnelle, rien de plus, je te l’assure ! »

Bon, je sais pas d’où me vient cette envie de me justifier, mais en tout cas le stress est définitivement tombé et je commence à reprendre tous mes moyens. Oh moins je n’hésite plus, et je n’apparais plus comme une personne démunie et prise en flagrant délit. Je me sens liiiiiiiiiiiiiibre ! Enfin, non, peut-être pas, n’exagérons rien, mais j’ai pas l’impression d’être poursuivie par un monstre de cauchemar, c’est déjà ça.
Dans le mouvement je m’assoie sur une table à proximité du PC. Cool ! Là je parais presque de taille normale. En tout cas s’il me dit non j’aurai l’air stupide, mais quel artiste résisterait à la pulsion étrange qui nous prend aux tripes lorsque l’on a effectué un travail que l’on désire montrer au monde pour leur balancer notre pensée la plus profonde au visage sans qu’ils ne puissent capter quoi que ce soit ? Un peu comme si je te lançais une vanne pour me payer ta tête mais que seule une partie de populace pourrait comprendre. Trop cool !
Hem… Je m’emporte. Enfin, en attendant, même si j’ai été rapide dans mon raisonnement, et que ce qui peut sembler prendre plusieurs minutes s’est déroulé en à peine une, et bien, j’attends toujours sa réponse, au type. Tiens, faut que je lui demande son nom, c’est mieux pour l’appeler. Et pis, c’est mieux que « le mec », aussi. Enfin je pense.