Le vase explosa dans un fracas assourdissant. L’eau coula le long du mur, sur la tapisserie, et les fleurs s’écrasèrent au sol avec les débris de porcelaine. L’homme du room service déglutit difficilement et ressortit immédiatement avec son plateau en refermant la porte derrière lui. Kira grogna en le regardant partir, les yeux noirs. Une fois la porte fermée, elle soupira et s’approcha du mur puis se mit à ramasser les morceaux du vase. Elle les jeta à la poubelle, se fichant royalement de la valeur de ce vase, puis elle récupéra les roses et les mit dans un autre récipient. Elle prit une serviette et épongea l’eau au sol. Elle aurait tout aussi bien pu appeler une de ses servantes pour le faire, mais elle avait besoin d’être seule. Une fois l’eau épongée, elle récupéra la carte au sol, envoyée avec les fleurs, signée par un fan, et elle la remit avec les roses. Elle accrocha la serviette sur la douche pour la laisser sécher puis retourna dans la suite. Elle ouvrit la porte de sa chambre et se laissa tomber dans son lit, sur le dos, en fixant le plafond de son baldaquin. La jeune Murray venait, pour la centième fois de la semaine, de piquer une énorme crise sur le personnel de l’hôtel parce qu’elle avait commandé des macarons à la framboise et qu’on lui en avait servi à la fraise. C’était stupide. S’il n’y en avait pas à la framboise, les pauvres cuisiniers servaient ce qu’ils pouvaient. Mais c’était Kira. Elle était comme ça. Et si elle changeait de comportement, elle ne serait plus elle-même. Si elle avait accepté bien gentiment les macarons en les excusant, ça se serait tout de suite su, et les nouvelles vont vite dans cet hôtel. En moins d’une heure, tous les actionnaires auraient été mis au courant et on penserait qu’elle s’assagissait, qu’elle se calmait, et que peut être, elle serait enfin apte à céder l’entreprise avec sagesse. A cette pensée Kira rit froidement. Elle se redressa et se passa une main dans les cheveux. Ce jeu durait depuis des années, elle ne se souvenait même plus quand il avait commencé. Elle avait toujours été comme ça, aussi loin que remontait ses souvenirs. Parfois ça la fatiguait, elle en avait marre de devoir jouer les gamines pourries gâtées, capricieuse et égoïste. Mais en même temps, c’était tellement devenu habituel chez elle, elle s’imaginait mal changer.
Kira se redressa et se leva. Elle se dirigea vers le dressing et attrapa une robe bleue, une de ses préférées. Pas uniquement parce qu’elle avait été faite sur mesures et selon ses propres critères par un grand couturier Français, mais aussi parce que ce bleu, elle l’adorait. Un bleu électrique avec des reflets bleus turquoise. Kira partit donc dans la salle de bain et retira sa robe de chambre et sa nuisette puis prit une douche assez rapide. Elle sortit et entreprit de se démêler les cheveux avant de les sécher et de s’habiller. Tranquillement, elle enfila ses sous-vêtements noirs en dentelle, avant de mettre ses bas. Puis elle mit sa robe et remonta la fermeture. Elle se maquilla ensuite face au miroir, comme toujours avec beaucoup de noir et cette fois, un léger bleu sur les paupières pour rappeler sa robe, avant de sortir de la grande salle de bain en marbre. Elle entreprit alors de chercher ses bottes noires, sans talons. Quand elle les trouva parmi la montagne de boîtes à chaussures, elle les enfila. Enfin, elle attrapa son sac à main. Elle vérifia que tout était dedans, son téléphone portable, son agenda électronique, son maquillage et son sachet d’ecstasy. Kira consommait de la drogue depuis plusieurs années. Elle y était accro, elle le savait. Mais elle n’en consommait pas énormément, en général c’était pendant les soirées. Elle savait que si un jour elle devait arrêter, ce serait difficile, mais pas impossible. Seulement, elle ne voyait pas l’intérêt d’arrêter. En plus de l’amuser, la drogue lui permettait d’échapper un tant soit peu à sa vie, à ses responsabilités, à ses peurs. Un fois sûre que tout était dans son sac, elle sortit de la plus grande des suites de l’hôtel de son père, qui était le sien à présent. Elle y vivait depuis la rentrée des classes, depuis qu’elle avait décidé de reprendre les cours. Elle était donc rentrée aux Etats-Unis, et avait choisi cet hôtel parmi tant d’autres, appartenant à son père, pour suivre les cours à la fac de Los Angeles. Cet hôtel elle le connaissait depuis toute petite, elle y jouait alors qu’elle savait à peine marcher. Aujourd’hui elle vivait dans la plus grande de ses suites, parce qu’elle était tout simplement incapable de retourner chez elle, dans la maison de ses parents, l’endroit même où ils étaient morts.
Kira descendit par l’ascenseur, accompagné par le maître d’hôtel qui avait, bien entendu, rapidement contacté le chauffeur de Miss Murray pour l’emmener sur le campus. Elle sortit de l’ascenseur et marcha dans la cour de l’hôtel, jusqu’à sa limousine qui l’attendait devant les grilles, le chauffeur tenant la porte. Elle grimpa à l’intérieur et s’installa sur le siège du fond. Des framboises avaient déjà été préparées et disposées sur un plateau au centre de la limousine, pour elle. Elle en attrapa quelques-unes et sortit son téléphone portable. Elle regarda sa boîte de réception de mails et de sms. Elle avait des tas de messages, mais pas un seul de lui. Kira grogna et claqua le téléphone dans le fond de son sac. Elle soupira et posa la tête contre le dossier du siège puis ferma les yeux. Elle allait rarement à l’école, très rarement. En fait, presque jamais. Seulement, quelques semaines plus tôt, elle avait rencontré un gars sur le campus. Des garçons, elle en rencontrait des dizaines chaque soir. Mais lui… il était différent. Pas par sa gentillesse ou par son physique. Non. Il exaspérait Kira au plus haut point, elle mourait d’envie de l’étrangler à chaque seconde. Il lui tenait tête comme personne et l’appelait « gamine ». Elle détestait ça et à chaque fois qu’elle le voyait, elle entrait dans une fureur noire. Toute sa vie elle avait été respectée, elle avait regardé les gens de haut, parce qu’elle le méritait. Elle était une Murray ! C’était suffisant non ? Mais lui, Logan, il s’en fichait royalement ! Il lui parlait comme si elle ne valait pas plus que toutes les autres filles du campus. Ça avait le don d’exaspérer Kira. Et pourtant, depuis sa rencontre avec lui, elle allait beaucoup plus souvent en cours, dans le fol espoir de le croiser. Quand ils se voyaient, les conversations ne changeaient pas, c’était toujours la même chose. De la provocation, des moqueries, des disputes. Mais Kira ne pouvait plus s’empêcher de vouloir le revoir. Il avait son numéro privé, pourtant il ne laissait que rarement des messages. Il s’amusait de la voir ainsi, de la rendre folle, et il réussissait. Encore aujourd’hui, elle ne se rendait sur le campus que dans le but de le voir. La limousine se gara sur le parking et le chauffeur vint ouvrir à Kira. Elle descendit avec ses quelques framboises dans la main et il lui souhaita une bonne journée puis repartit.
La jeune Murray regarda la limousine s’éloigner puis se tourna vers le campus. Il y avait peu de monde sur le parking, à peine trois ou quatre personnes, parce que les cours avaient déjà commencés. Elle soupira et commença à marcher en direction du centre du campus. Elle hésita à envoyer un message à Logan et elle se ravisa en grognant. S’il voulait la voir, c’était à lui de l’appeler. Elle marcha donc jusqu’à la bibliothèque puis elle partit en direction des salles de classes. Le campus semblait désert. Kira afficha un sourire radieux. Le soleil brillait et il y avait une légère brise, le temps était parfait. Elle ne regrettait pas d’avoir mis cette robe qui reflétait joliment le soleil avec une couleur turquoise. Elle marchait tranquillement, pas pressée d’arriver en cours. Ses cheveux volaient derrière elle et elle tenait fermement son sac contre elle. Kira marcha donc lentement jusqu’à l’ensemble de bâtiments à l’extrémité du campus. Elle se stoppa en fronçant les sourcils, ne se souvenant plus où elle avait cours aujourd’hui. Elle soupira et hésita entre sortir son agenda pour chercher le numéro de sa classe, ou faire demi-tour et aller s’installer dans le parc pour profiter du soleil en attendant d’avoir des nouvelles de Logan. Elle se pinça les lèvres entre elles et le choix fut vite fait. Avec un joli sourire en coin, radieux, elle fit demi-tour et se dirigea vers le grand parc du campus. En plus à cette heure-ci elle était sûre d’avoir une table libre où s’allonger. Elle marcha donc, grignotant calmement ses framboises. Elle tourna à l’angle d’un bâtiment et se stoppa instantanément en se retrouvant face à quelqu’un. Kira le jaugea du regard, des pieds à la tête. Il portait des vêtements plus ou moins normaux, assez sombres. Mais ce qui était étrange chez lui, à part les gants qu’il portait malgré le magnifique soleil, c’était le masque qui lui couvrait le visage et cachait ses traits. Cependant, Kira pouvait apercevoir légèrement son sourire. Elle fronça les sourcils et tenta de faire abstraction de la peur qui commença à s’insinuer en elle. C’était plutôt stupide. Pourquoi il était masqué ? Elle ne le savait pas. Mais la vague idée qui lui était venue à l’esprit, à propos d’un tueur qui aurait sévi l’an passé dans cette école, semblait idiote. On était en pleine journée, de nombreux élèves étaient en cours. Si un meurtrier existait vraiment au sein de cette école, il ne devait pas agir en pleine journée, ça semblait illogique.
Kira le regarda donc fixement et afficha un sourire en coin, arrogant. Elle le regarda moqueusement et emprunta un ton hautain :
« Je savais pas que c’était halloween aujourd’hui. »
Elle se passa la langue sur les lèvres et regarda autour d’elle. Ils étaient complétement seuls dans cette partie du campus. Et comme ils étaient juste aux pieds du bâtiment, personne ne pouvait les apercevoir des fenêtres. Bon, elle n’était pas non plus naïve et elle savait que ça pouvait très bien être quelqu’un qui lui voulait du mal. La porte du bâtiment qu’elle venait de contourner était de l’autre côté. Si elle voulait s’y réfugier, il fallait qu’elle en fasse le tour. Une fois à l’intérieur, dans le pire des cas, elle pourrait crier pour avertir quelqu’un. Pourtant elle ne pouvait pas être sûre que cette personne lui veuille vraiment du mal. On voyait de tout sur ce campus, il avait peut-être simplement voulu se déguiser. La jeune Murray échappa un soupir parce qu’il lui barrait la route. Elle aurait pu passer à côté de lui, mais son instinct lui recommanda de ne pas non plus tenter ce genre de choses. Il ne voulait peut être rien, mais elle n’avait pas non plus envie de risquer quoi que ce soit. Elle le regarda alors fixement, un peu blasée et légèrement impatiente :
« C’est pas que tu m’ennuies, mais j’ai d’autre choses à faire tu vois ! »
Elle fit alors demi-tour, lui tournant volontairement le dos, puis reprit le chemin qu’elle avait emprunté quelques secondes plus tôt. Elle marcha tranquillement, ne voulant pas avoir l’air de prendre la fuite, mais elle jeta quand même quelques coups d’œil derrière elle, légèrement en stress. Elle contourna le bâtiment, partant vers l’entrée, se disant qu’elle serait quand même plus en sécurité là-dedans. Et même si le bâtiment était vide, elle aurait plus de chance de se cacher parmi les nombreuses classes qu’en restant dehors, dans cette partie du campus où ils étaient seuls. Kira marcha en longeant le mur, ses pensées défilant à une vitesse vertigineuse en elle. Il pouvait être n’importe qui. Et si cette histoire de tueur était vraie, pourquoi s’en prendrait-il à elle ? Elle ne le méritait pas, elle n’avait rien fait, elle était une Murray, personne ne pouvait lui vouloir du mal. Cette pensée l’amena immanquablement à penser à ses parents. Eux non plus n’avaient pas fait de mal, logiquement personne n’aurait voulu leur mort. Certes ils étaient riches, mais son père payait particulièrement bien ses employés. Et même s’il se montrait dur envers eux, ce n’était pas une raison pour le tuer. La seule personne qui aurait pu vouloir sa mort, c’était son propre frère, l’oncle de Kira. Il avait raté ses études, et n’avait pas aussi bien réussit dans la vie que le père de la jeune Murray. Il enviait littéralement son frère, c’était certain. Il avait d’ailleurs rendu visite à sa nièce quelques mois plus tôt, et Kira n’oublierait jamais ce jour. Elle secoua la tête pour ne pas y penser sur le coup. Ça ne servait à rien et ça ne faisait qu’élargir sa peur. Son oncle était loin, elle le savait. Ca ne pouvait pas être lui qui la suivait actuellement. Et de toute façon il n’aurait pas pris la peine de porter un masque, bien trop fier de montrer qui il était. Kira continua de manger ses framboises, tentant de se détendre. Après tout, qui pourrait lui vouloir du mal ?
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